(Pauce/Journal du Golf)
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Victor Perez : « J'ai une bonne idée de qui je suis »

En à peine quelques mois, Victor Perez a littéralement explosé au plus haut niveau mondial. Rencontré lors du Saudi International en début d'année, le Français posait un regard presque détaché sur sa folle année 2019 et son ascension fulgurante. L'actuel 40e joueur mondial levait surtout le voile sur les rouages clés de son entourage, sa manière très méthodique de concevoir le golf et ce carnet anodin aux effets pourtant gigantesques.

Avec Victor Perez, tout est clair, précis, calé, sous contrôle. Rien ne dépasse ou presque. Il se tient droit, parle de façon monocorde et fixe de son regard bleu acier. Ça pourrait presque en devenir un brin ennuyeux si les résultats du Français, eux, ne sortaient pas des clous. Première saison sur le Tour européen l'an passé et pan !, premier succès. Ce titre au Dunhill Links Championship, le Tarbais en a même fait un tremplin. Car non content de réaliser ce que d'autres poursuivent pendant des carrières entières (parfois en vain), Perez a transformé l'essai. En WGC (4e en Chine) puis en Rolex Series (play-off en Turquie) et même d'une saison à l'autre. Car, après cette année 2019 folle et malgré une pause de sept semaines bien méritée, Victor Perez est reparti sur le même tempo dès sa rentrée 2020 à Abu Dhabi. 63 le dimanche avec option eagle au 18 pour accrocher une deuxième place. Dans le coup la semaine suivante au Dubai Desert Classic à 18 trous du but. Et de nouveau aux commandes pendant deux tours au Saudi International... C'est d'ailleurs en Arabie saoudite qu'on lui avait donné rendez-vous. L'entretien devait durer trente minutes, pas une de plus. Il se prolongera pendant cinquante-sept minutes très exactement. Affable, presque bavard, Victor Perez s'est confié sur les sujets qu'il maîtrise le mieux : son golf, son précieux entourage et cet ingrédient secret en forme de carnet qu'il remplit depuis des lustres. On s'excusait platement de ne pas avoir vu filer le temps à la fin de cette entrevue à rallonge. Lui souriait poliment, puis filait illico rattraper la demi-heure de chipping initialement prévue au programme du jour.

Il paraît que vous consignez la recette de votre potion magique du succès dans un carnet... Que contient-il au juste ?

Victor Perez : « J'écris ce que j'estime important... C'est une sorte de journal intime, un notebook en papier un peu comme le vôtre, où je couche la façon dont je pense à des moments précis. L'idée est de pouvoir s'y replonger à tête reposée pour analyser la manière dont j'ai pensé dans ces moments-là. J'essaie de consigner toutes les semaines mon état mental, mon état physique, mon état golfique. Ce carnet me permet de vraiment me rendre compte que certaines façons de fonctionner, de penser, de me préparer ont à chaque fois généré de bonnes performances. Je me suis par exemple rendu compte que tout ce qui touche à l'hydratation est essentiel pour moi. Je cherche aussi à trouver des points communs entre d'autres performances passées. En fait ce carnet me permet de savoir qui je suis. C'est quelque chose sur lequel j'ai beaucoup travaillé. Et j'ai une bonne idée de qui je suis en tant que personne, de ce que j'aime ou non. Je sais comment je fonctionne et ça me permet de faire l'"educated guess" très souvent (une supposition éclairée). Ce n'est pas tout le temps parfait, je fais plein d'erreurs comme tout le monde. Mais ça me permet d'être moins dans le flou. Je peux me rendre compte que d'une semaine à l'autre, j'ai pensé de la même façon et que ça s'est soit bien, soit mal passé. Je peux donc identifier les façons de faire qui me mettent dans une bonne ou une mauvaise position mentale.

« L'important n'est pas de faire ou non les bonnes choses. Mais de comprendre pourquoi les faire ou pas »

Victor Perez, n°1 Français

Y notez-vous ce que vous mangez, ce que vous buvez ? Est-ce à ce point dans le détail ?

V. P. : Oui, sans être fou non plus. Je veux avoir cette conscience, je veux me rendre vraiment compte qu'à chaque fois que je bois de telle façon, ça se passe bien. L'idée n'est pas de trouver une recette miracle, mais de maximiser les choses sur lesquelles j'ai le contrôle. Je me dis que si à la fin d'un tour, j'ai tapé tous mes coups avec une bonne routine, que j'ai eu une bonne attitude, que je suis arrivé au 18 frais mentalement, alors j'ai passé une bonne journée. L'idée est de savoir combien de jours, combien de tours je suis capable de fonctionner ainsi. Le dimanche du Dubai Desert Classic, j'ai peut-être joué 79 (+7), mais j'ai déroulé toutes mes routines, j'étais frais lorsque je suis arrivé au 18, j'ai fait le taf de A à Z. Je tire beaucoup de positif de cette partie précise parce que je me concentre sur les choses que je contrôle. Bien sûr je pourrais me dire que j'ai joué 79, que j'ai laissé filer le tournoi, etc. Mais je ne veux pas me tirer une balle dans le pied. La carrière de n'importe quel sportif est faite de moments compliqués. Je me doute que Federer, qui avait une balle de match pour gagner Wimbledon et qui au final perd la rencontre, a eu les boules pendant un bon moment. Ça devait être une sacrée déception. Mais je suis certain qu'au fond il en a tiré du positif.

(Pauce/Journal du Golf)
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Êtes-vous dur avec vous-même dans ce carnet ?

V. P. : Ça dépend. Il y a des moments où il faut savoir se dire qu'on n'a pas bien fait le travail. Je ne suis pas un surhomme. Je fais beaucoup d'erreurs, parfois je n'ai pas envie, je ne fais pas bien les choses... Au fond, l'important n'est pas de faire ou non les bonnes choses, mais de comprendre pourquoi les faire ou pas. Est-ce une question d'envie, de flemmardise ou parce que ça ne me correspond pas ? Il faut trouver le juste milieu dans la dureté de ses propres analyses. J'ai aussi tout un entourage qui peut m'aider à trouver les mots justes et à me rappeler à l'ordre si besoin. Ça aussi, c'est important.

Est-ce votre fine connaissance de vous-même grâce à ce carnet qui est la source de tout ?

V. P. : Il n'y a pas de méthode ou de solution. Il y a juste SA propre méthode, SA propre façon de fonctionner (il insiste). C'est la quête à suivre. C'est encore plus difficile maintenant de trouver sa propre voie : on peut trouver 50 façons différentes de taper un fade ! Mais quelle est celle qui me convient ? Comment est-ce que JE conçois cette trajectoire ? Quelle est la manière de procéder qui me correspond ? Il n'y a pas de honte ou d'ego à se dire qu'on fonctionne de telle ou telle façon. Le but est d'être performant. Si on arrive à jouer 65 tous les jours parce qu'on se touche le nez avant de putter, pourquoi arrêter ? On voit Nadal avec tous ses tics, ses manies... Ça peut paraître ridicule, mais si ça le met dans une zone de confort et de contrôle, pourquoi arrêterait-il de le faire ? Il a 19 Majeurs et est l'un des meilleurs planétaires. Sa recette a l'air bonne pour lui. Il a trouvé sa méthode et c'est l'essentiel.

Était-ce facile de gérer votre progression fulgurante ?

V. P. : C'est vrai que mon évolution a été assez rapide. Mais il faut rester lucide : les choses se sont bien goupillées pour moi sur le bon tournoi, au bon moment. J'ai enchaîné de solides performances sur de grosses épreuves, c'est vrai. Mais il ne fallait surtout pas partir du principe que ma progression allait être linéaire, et se dire qu'après être passé de 180e mondial à 40e en une saison, j'allais ensuite devoir viser la cinquième place cette année puis la première place mondiale dans deux ans. Chacun passe les paliers à sa vitesse. Il faut davantage chercher à évoluer petit à petit sans trop chambouler les choses, juste parce que les résultats s'accélèrent.

« Il n'y a pas de bonne méthode ou solution (...) Si on arrive à jouer 65 tous les jours parce qu'on se touche le nez avant de putter, pourquoi arrêter ? »

Victor Perez, n°1 Français

De l'extérieur vous donnez le sentiment d'acquérir des compétences qui paraissent ensuite gravées en vous. Ressentez-vous les choses de cette manière ?

V. P. : Un petit peu, oui... C'est vrai que je suis très analytique, je réfléchis beaucoup, parfois même un peu trop malheureusement. Ma préparatrice mentale (Deborah Graham, ndlr) a une très bonne analogie : elle me dit que la progression vers le haut niveau mondial, c'est comme quand on épluche un oignon. On le pèle lamelle après lamelle. C'est chaque fois le même problème, mais on le comprend de manière un petit peu plus profonde couche après couche. Bien sûr, plus on progresse vers le très haut niveau, plus les distractions, les enjeux, le monde, la pression sont importants. Mais le concept reste le même.

Pour rester dans votre analogie, plus on pèle un oignon, plus les yeux piquent. Quelle est votre recette pour rester à l'aise malgré ces progrès rapides ?

V. P. : Dans ma carrière jusqu'à aujourd'hui, de l'Alps Tour au Challenge tour, puis au Tour européen, j'ai toujours fait les choses à mon rythme. Et la seule question qui vaille, quel que soit le "décor", c'est : comment taper le meilleur coup possible ? Je suis vraiment persuadé que seuls les facteurs externes changent à mesure que je progresse. La chose à faire reste la même, avec des parcours plus ou moins exigeants bien sûr. Mais j'ai joué des parcours durs sur le Challenge Tour, j'ai connu des conditions très difficiles sur l'Alps Tour. Ce qui change ce sont les autres joueurs, les médias, l'argent, le public... C'est pour ça que j'essaie de ne jamais regarder trop loin, de rester le plus possible concentré sur mon jeu et la manière de le faire évoluer pour performer semaine après semaine. Bien sûr, on peut avoir la tête qui part dans 10 000 directions quand on grimpe au classement mondial, mais ça fait partie du package. Une fois qu'on rentre dans le top 50 mondial, on sait qu'on pénètre dans un monde où la pression est plus forte, où les attentions médiatiques sont plus importantes.

En quoi réfléchissez-vous trop ? Comment se concrétise votre « suranalyse » ?

V. P. : J'ai toujours estimé que la préparation était la base de tout. Elle m'obsède, parce que je veux mettre toutes les chances de mon côté. Je veux l'affiner que ce soit dans les domaines de l'entraînement, l'échauffement, la nutrition, le sommeil, les soins, l'avant-partie, l'après-partie, etc. Je veux savoir quel type de parcours je vais jouer et donc de quels types de coups je vais avoir besoin. Ce sont ces choses-là que je contrôle et sur lesquelles je peux agir concrètement. Mais c'est aussi là que je vais parfois un peu trop loin. Je peux rendre certaines situations trop compliquées. Pourtant, quand on entend les meilleurs parler après de grosses journées, ils disent très souvent : "tout était facile, j'étais dans un flow, les choses se sont enchaînées, etc." Quand j'ai joué 63 le dimanche à Abu Dhabi (en janvier dernier), j'étais totalement dans cette facilité. C'est assez contradictoire d'ailleurs : les coups dans ces moments-là sont tellement importants. On est très bas au score, on pourrait très vite s'emballer du mauvais côté. À l'inverse quand on réfléchit trop, les choses ont tendance à ne plus être simples. Lorsqu'on est +1 ou +2, les coups deviennent durs, on n'a jamais la bonne distance pour jouer des pleins coups, toujours un mauvais lie... Quand on est -5, on n'est jamais entre deux clubs, on a une plus grande fluidité, on voit plus rapidement les coups même si on n'a pas les bons yardages. En fait, tout se joue en termes d'appréhension mentale. Trouver la simplicité dans l'approche de chaque partie, c'est le plus difficile.

Vous avez beaucoup travaillé le putting pendant l'intersaison, sur quoi avez-vous mis l'accent ?

V. P. : C'est mon approche globale du putting que j'ai travaillé. J'ai un long-jeu assez fort, du coup je me suis fréquemment mis en position de birdie l'an passé. Et avec mon envie de bien faire, j'ai eu du mal à capitaliser là-dessus, à ne pas tomber dans le travers de vouloir faire rentrer tous les putts du premier coup. J'avais du mal à me dire "tu vas avoir des opportunités, sois relâché, ça va tomber". J'étais trop tendu en fait, trop centré sur le résultat. Du coup, ma vitesse n'était pas tout le temps optimale. Je laissais pas mal de putts soit courts, soit qui passaient sous le trou, soit carrément bien trop forts. J'ai énormément travaillé sur cet aspect précis de mon putting. Je voulais mieux gérer la vitesse pour m'assurer deux putts quand je suis loin des trous, ou pour vraiment me donner une bonne chance quand je suis plus près des cibles.

(ROSS KINNAIRD/Getty images/afp)
(ROSS KINNAIRD/Getty images/afp)

Avec qui travaillez-vous ce compartiment clé ?

V. P. : C'est surtout venu de moi : je devais faire évoluer ma perspective. Bien sûr, le fait de collaborer avec Phil Kenyon m'aide énormément. Et puis J. P. (Fitzgerald), mon caddie, m'aide beaucoup sur le parcours. Il lit pas mal de putts pour moi. J'ai besoin de son avis, de sa confirmation. Ça me donne un surcroît de confiance qui ne fait forcément pas tomber les putts à chaque fois, mais qui augmente mes chances d'y parvenir. J'essaie de voir les choses ainsi, de moins gamberger. Car on s'est vraiment rendu compte pendant notre débrief d'équipe que lorsque je commence à rater des coups, j'ai tendance à rendre les choses trop difficiles. Tout devient complexe. Quand on putte très bien, les choses sont évidentes, il n'y a pas des milliards de questions : c'est bord gauche et on y va. Mine de rien, j'ai eu quelques difficultés avec mon temps de jeu global l'an passé et ce n'est pas anodin. J'étais un peu lent et ça revient à ce même schéma : si je suis lent, c'est que je réfléchis trop, donc pas de choix clair, donc un coup sans absolue certitude ni de réel lâcher-prise. C'est vraiment cette légèreté, cette simplicité que j'essaie de travailler.

« C'est vrai que je suis très analytique, je réfléchis beaucoup, parfois même un peu trop malheureusement »

Victor Perez, n°1 Français

Vous êtes un adepte de la « Mindfulness », la pleine conscience, une forme de méditation. Que vous apporte-t-elle ?

V. P. : Je la pratique tous les jours. C'est de la méditation comme peuvent faire beaucoup de joueurs dans le but de bien jouer au golf et d'avoir de bons résultats. Mais je la vois de manière plus globale, d'un point de vue santé et bien-être pur. Elle m'aide à relativiser, à être en paix avec moi-même, à ne pas trop m'accrocher à des questions qui énervent inutilement. Cette méditation a forcément des bénéfices sur mon golf, mais ce n'est pas l'objectif premier. La longueur de mes séances est variable. Ça peut aller de trente secondes quand je suis en train de manger, que je parviens à trouver un petit peu de temps pour me poser en silence interne, à quarante-cinq minutes voire une heure. Tout dépend du besoin que je ressens et si l'endroit et le moment s'y prêtent.

Vous avez aussi mis l'accent sur le physique à l'intersaison ; sur quoi travaillez-vous avec Ben Shear ?

V. P. : Je suis quelqu'un de raide à la base. Il faut donc que je progresse encore de façon globale. D'autant plus quand je sais que je vais passer plus de six heures dans un avion, que je vais changer de lit tout le temps, que la déshydratation des voyages rendra les muscles encore plus tendus. On maltraite nos corps avec ces voyages incessants, ces décalages horaires... Donc je fais pas mal d'étirements tout en gardant un minimum de force et d'explosivité qu'on travaille à des moments précis, selon les tournois. J'ai la chance d'être grand et de mettre naturellement du poids dans la balle. Cette base physique m'évite d'avoir à passer des heures à la salle pour lever des haltères. Donc au-delà d'un travail cardio classique pour tenir sur la longueur et d'un travail plus spécifique à mes raideurs et à mon swing plutôt court, je ne fais rien de particulier. Il faut que je sois clair sur mes objectifs : je dois garder de la mobilité, de l'extension sur mon haut du corps. Je ne dois pas me tenir avec le dos rond par exemple sinon je serai limité en rotation et cela rendra mon swing encore plus court. Tel qu'il est aujourd'hui, mon swing est vraiment fondé sur mon corps. Si mon corps est bien, mon swing sera probablement bien, sans être parfait. En revanche, si mon corps ne répond pas bien, je ne serai pas capable de mettre mon club dans la position qui me permettra d'envoyer les coups que je sais taper.

Que vous apporte Tom Boys, votre performance coach ? Quel est son rôle ?

V. P. : Il m'offre une vue complètement analytique de mes performances fondées sur des chiffres, des stats, des données. En fin d'année j'obtiens un grand rapport sur l'état de mon jeu, secteur par secteur, qui me permet de confirmer ce qu'on a ressenti tout au long de l'année avec mon équipe. Tom est un peu le filet de sécurité qui permet de concrétiser les sensations qu'on peut avoir avec J. P. sur ce que je fais de bien ou non sur le parcours. La plupart du temps on n'est jamais loin du compte, mais c'est toujours bien d'avoir la petite info en plus, la donnée empirique qui confirme vraiment les choses.

Est-ce une coïncidence que vous ayez aussi peu d'intervenants français dans votre entourage ?

V. P. : C'est vraiment Joe (Shuchat), mon agent, qui orchestre la mise en place de mon staff. Il a un gros carnet d'adresses et m'a toujours inculqué, comme mon père d'ailleurs, l'idée qu'il faut voir la meilleure personne dans chaque spécialité. Peu importe le prix, il faut s'entourer des meilleurs. Je veux pouvoir me dire en fin de carrière que j'ai vraiment tout fait, au maximum de mes capacités, que j'ai tout posé sur la table. Donc oui, aller voir un Ben Shear qui a une énorme expérience, qui a travaillé avec Luke Donald, Jason Day et les meilleurs mondiaux, c'est important. Il sait ce que sont les calendriers des joueurs du top 50 mondial et leurs contraintes physiques. C'est normal d'aller voir Phil Kenyon qui travaille le putting avec les meilleurs Européens. D'avoir J. P. sur le sac aussi c'est nécessaire. Toutes ces personnes me confortent dans ce que je fais, et je leur voue une confiance totale parce que ce sont les meilleurs. Si on a envie d'être le meilleur, il faut s'entourer des meilleurs. Et au-delà de l'information qu'ils peuvent me transmettre, le simple fait d'être au contact de gens qui ont eu du succès de façon globale dans ce qu'ils ont entrepris, que ce soit dans le business, la performance, le golf, le putting ou autre... Juste être autour de gens qui ont du succès dans ce qu'ils font et ce qu'ils aiment transmet des vibrations positives. Je copie la confiance qu'ils ont en eux, leur état d'esprit, leur manière de voir les choses. Ça m'aide énormément.

Quel est l'impact de votre caddie J. P. Fitzgerald sur vos performances ?

V. P. : C'est difficile à quantifier, mais il représente indéniablement un apport considérable dans mon équipe. J. P. a cette vision, cette expérience du succès. Il me met surtout une exigence constante sur le parcours avec les coups qu'on choisit de taper, que ce soit en compétition ou à l'entraînement d'ailleurs. Il me dit toujours : "We need to raise the standard." (il faut élever notre niveau d'exigence) Parce qu'il sait ce qu'il faut faire en fonction du niveau qu'on veut atteindre. Si je veux être n° 1 mondial, n° 5, n° 20 ou n° 50 mondial, il faudra taper des coups plus ou moins incisifs, il faudra être plus ou moins performant dans tous les domaines. Après c'est à moi de choisir, d'y aller à mon rythme. Mais J. P. m'aide beaucoup en jugeant l'état des compartiments de mon jeu par rapport aux standards qu'il a pu connaître avec Rory McIlroy.

(ROSS KINNAIRD/Getty images/afp)
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À vous entendre, J. P. est presque un prophète du haut niveau...

V. P. : Il n'a pas toutes les solutions, c'est certain, mais il a une vision unique et une réelle connaissance du très haut niveau mondial. Bien sûr, il a été sur le sac de Rory, mais il a surtout évolué avec les joueurs avec qui Rory jouait dans ces moments-là. Il a été plongé dans l'univers du top 5 ou top 10 mondial toutes les semaines. Il n'a vu que ça pendant dix ans. Son niveau d'exigence est très élevé : quand on arrive sur un drapeau qui est placé à quatre mètres du bord d'un gros bunker, il me dit "vise droit dans le drapeau". Au début je lui disais "oui, mais il y a quand même ce gros bunker !" Et il me répondait assez vite, "OK, si tu veux être 50e mondial, on peut prendre un peu de marge et jouer sur le côté. Si tu veux être tout en haut, c'est droit sur le mât." C'est dans ces moments qu'on réalise qu'il faut y aller... Que même s'il y a un précipice et que c'est haut, il faut dompter son vertige.

« Tout se joue en termes d'appréhension mentale. Trouver la simplicité dans l'approche de chaque partie, c'est le plus difficile »

Victor Perez, n°1 Français

Comment avez-vous vécu cette période d'inactivité forcée par la crise sanitaire ?

V. P. : Un peu comme tout le monde, je crois. Le plus important était de bien suivre les règles, de ne pas se rebeller contre quelque chose de plus grand que nous. Bien sûr, ça n'était pas spécialement plaisant dans les premiers temps. Ne plus pouvoir dérouler ses journées comme on le voulait, c'était le plus perturbant. La partie psychologique a été la plus délicate à accepter au début. Mais une fois le nouveau rythme trouvé, cette période est devenue une source de choses positives.

Avez-vous trouvé de nouvelles occupations pendant ces semaines confinées ?

V. P. : Je n'ai pas fait de choses sortant de l'ordinaire, non. J'ai très basiquement continué à m'entretenir pour rester en forme. Pas uniquement pour le golf d'ailleurs, mais pour mon bien être global. Cette période a surtout été l'occasion pour moi de rattraper des heures de sommeil. On en manque toujours quand on est en pleine saison. J'ai pu aussi pu me poser et me rendre compte de là où j'en suis, de ce que j'ai réalisé en termes d'objectifs, des cases que j'ai réussi à cocher. J'ai mis les choses à plat sans le stress de la compétition qui arrive.

Vous aviez déjà mené une introspection de ce genre entre les deux saisons. Avez-vous mis le doigt sur de nouveaux axes de progrès pendant le confinement ?

V. P. : C'est surtout d'avoir eu le temps d'établir un plan de travail en profondeur qui a été différent. Golfiquement parlant, je sais que j'ai un boulot à réaliser sur mon petit-jeu et mon putting. J'ai eu le temps de pas mal échanger avec Phil Kenyon à ce sujet pour bien matérialiser les axes de travail. J'ai aussi beaucoup discuté avec Jeremy DaSilva, mon kiné, pour analyser de façon claire les pépins que j'ai rencontrés ces derniers mois. C'est tellement plus facile de planifier les choses sans la contrainte de la compétition. On est moins dans l'urgence, le travail n'a pas à être immédiatement en place. Avoir ce temps, c'était une réelle opportunité dans tous les secteurs, qu'il s'agisse de technique, de physique, etc.

Avez-vous gardé contact avec les clubs pendant cette pause forcée ?

V. P. : Non. J'habite dans un appartement et il m'était impossible de taper le moindre coup. J'ai acheté un tapis de putting qui me permettait d'effectuer un peu de travail technique. Mais ça n'allait pas plus loin. De toute manière, je n'aime pas taper dans un filet. Sans vol de balle à analyser, on reste planté là, on tape cinq ou six balles et on trouve d'un seul coup que tel coude est mal placé, etc. On peut vite chercher un problème inexistant, et ça devient néfaste.

Vous êtes toujours dans les clous pour l'équipe européenne de Ryder Cup. Avez-vous eu des contacts avec le capitaine Padraig Harrington ces derniers temps ?

V. P. : Non. Globalement les officiels de la Ryder Cup restent très discrets. La situation sanitaire évolue tellement vite que ça ne sert à rien de dire "la Ryder aura lieu" pour que trois semaines plus tard ce ne soit plus possible. L'organisation sait pertinemment que les joueurs traversent une période, si ce n'est difficile, du moins un peu spéciale. On ne sait pas comment les choses vont se dérouler et il est préférable d'attendre que les frontières rouvrent, de voir comment se passe la reprise des tournois, pour prendre une décision claire. Si les premières épreuves du PGA Tour se passent bien, ça donnera une indication quant à la faisabilité de la suite, avec ou sans public. De toute façon, il reste encore du temps d'ici septembre pour prendre une décision.

« C'est vraiment cette légèreté, cette simplicité que j'essaie de travailler »

Victor Perez, n°1 Français

Pensez-vous qu'il soit possible de définir une équipe européenne de façon classique avec des calendriers aussi peu fournis ?

V. P. : Sincèrement, je ne sais pas. J'essaie avant tout de me concentrer sur les tournois que je vais jouer. Parce qu'on ne sait tellement pas comment les choses vont évoluer qu'il faut encore plus prendre les journées et les tournois les uns après les autres.

Quel regard portez-vous sur le nouveau calendrier du Tour européen ?

V. P. : La situation reste délicate, on sent bien que les responsables essaient de faire au mieux de leur capacité. Je n'aimerais certainement pas être Keith Pelley (le directeur du Tour européen, ndlr) dans les mois à venir. L'incertitude totale doit être un casse-tête constant. Il essaye de trouver les meilleurs compromis pour protéger les joueurs, mais aussi le Tour. Là est la réelle difficulté et il n'y a pas de solution idéale. Je trouve d'ailleurs injustes les différentes critiques émises à son égard. Au niveau du PGA Tour, l'avenir à l'air un peu plus rose, mais c'est incomparable. Tous les tournois sont dans un même pays et la visibilité en termes de voyage pour les joueurs est plus évidente.

Comment allez-vous gérer votre calendrier maintenant que vous êtes dans le club VIP du top 50 mondial ? Allez-vous jouer essentiellement sur le PGA Tour ?

V. P. : J'ai envie de confirmer ma bonne année en Europe avant de sauter le pas pour de bon aux USA. Je ne veux pas brûler les étapes. Oui j'ai gagné un tournoi, j'ai amassé plein de points mondiaux, mais j'ai le sentiment qu'il me faut encore confirmer en Europe. L'objectif de la Race to Dubai reste important. Le Tour européen est un très beau circuit rempli de très bons joueurs. Si j'arrive à y performer et à me donner une chance d'être dans le jeu, à la lutte pour la Race to Dubai, ce sera très beau. »

(KARIM SAHIB/Afp)
(KARIM SAHIB/Afp)