Petit Victor ou le « rez-pé » du jeu

Élevé dans la passion des sports et du jeu, Victor Perez s'est bâtit un corps et une tronche d'élite au pied des Pyrénées. Récit d'une enfance aussi musclée que décidée, en compagnie de Michel, son père et premier coach.

« Un jour, tu me verras là. » Cette prédiction venue de son tout jeune fils pointant de son petit doigt le téléviseur, Michel Perez s'en souviendra toute sa vie. Dans le salon de la maison familiale de Tarbes, le paternel s'amuse alors de l'assurance en l'avenir de son fiston, pour qui le golf n'était alors qu'une passion au milieu d'autres dans une famille de sportifs accomplis. Ce « là » que Victor aimait prédire à son père personnifie des images de golf professionnel, comme celles mettant en lumière Tiger Woods et le Masters. Des rêves comme beaucoup d'enfants en font à voix haute, mais qui sortis de la bouche du futur crack français ont pris avec le temps une résonance bien plus forte que prévue.

Mime and myself

Fils de l'entraineur du club de rugby local et également prof d'EPS, Victor Perez a comme grandi dans un gymnase. Michel tâte du ballon ovale, mais aussi du golf (4 d'index) sans oublier le ski, le surf, le vélo, les boules. Tout ce qui fait transpirer et donne un vainqueur à la fin, quoi. La maison est un vrai magasin Decathlon et l'enfant Victor se délecte de l'omniprésence du sport. « Son truc, se rappelle Michel avec son accent si Sud-Ouest, c'est le mime. Victor imitait tout ce qu'il voyait à la télé, en particulier les gestuelles et habitudes sportives. » Le père ne se fait pas prier pour continuer à esquisser le tableau : « Il ne ratait jamais Wimbledon, Roland-Garros ou le Tour de France. Jamais. » Alors forcément, dès que viennent les grands rendez-vous du tennis sur le service public, le petiot trouve facilement au domicile une raquette et un mur pour taper la balle. Avec les mimiques des pros, bien sûr, accompagnées du costume, si possible. « Depuis sa tendre enfance, reprend Michel, Victor prenait un malin plaisir à se déguiser en sportif. J'ai retrouvé des photos de lui en cycliste parce que je faisais du vélo, en tennisman parce que je jouais au tennis, en surfeur parce que j'ai fait du surf. » Pour les images de Victor Perez grimé en Richard Virenque, l'une de ses idoles d'enfance, pas la peine d'insister. Ces pépites resteront privées à sa demande, attachées à son intimité et à sa discrétion naturelle.

Housse de surf et VHS du Tigre

Mimes et déguisements prouvent un sacré sens de l'observation, montrant que Victor ne perd pas son temps devant les tubes cathodiques. Au contraire, il en tire savoir et habitudes, dont certaines seront précieuses pour son avenir. Michel : « Victor a vu dans un documentaire que les surfeurs pouvaient parfois passer la nuit dans la housse de leur planche. Je vous laisse deviner ou je l'ai retrouvé endormi un matin...» Ou plus pragmatique encore, de noter les habitudes alimentaires de Novak Djokovic, dont le régime aurait bien aidé le tennisman serbe à aligner les Grands Chelems. Des conseils tirés de l'élite du sport qui finissent couchés dans des cahiers, que déjà gosse Victor aimait barbouiller avant de peu à peu y compiler ses scores au golf, ses sensations et d'y dessiner les parcours de ses rêves. Les VHS de Tiger Woods sont poncées et reponcées, ou quand le mimétisme touche à la technique pure. « Vous voyez son grip interlocking, interroge Michel au sujet de la prise doigts croisés de son fils. Elle est sûrement justifiée d'un point de vue technique, mais il est probable que cela vienne aussi de son admiration pour Tiger ! »

Touche à tout

Souvent le passé du golfeur pro tend vers la monomanie, dès l'enfance. Du golf et que du golf au risque de ne jamais vraiment devenir un athlète accompli. Victor, lui, a donc presque tout testé, tentant même de gravir un col hors catégorie juste avant le passage de la caravane du Tour. Il a alors quelque chose comme 6 ans et déjà, une sacrée attirance pour la scène offerte par le sport de haut-niveau. Michel, la tête plongée dans la boite à souvenirs : « Une année, sur son petit vélo, il a essayé de gravir le Tourmalet sur quelques centaines de mètres. Il était tellement fatigué ensuite qu'il s'est endormi et en a raté le passage des coureurs ! »

Ambidextre de naissance, Victor est poussé par son père à développer ses habiletés. Comme lors de ces moments d'ovalie, où il l'incite à alterner coups de pied du droit et du gauche. Mais une volonté parentale prédomine avant toute notion de performance : le plaisir et le défoulement avant tout. « Moi, reprend Michel, je n'avais aucun projet dans le sport pour lui, je n'étais pas le père de Tiger (Woods). Mais je pense qu'il a été très tôt ouvert à tous les sports, il en a pratiqué plein, planche à voile, ski, natation, grâce à ma polyvalence. »

Compétiteur né

Ce n'est pas une surprise vu que l'on connait la suite d'une histoire qui le mènera à l'automne prochain à une possible Ryder Cup puis à une certaine participation au Masters, mais le petit Perez est un compétiteur né. Et pas seulement sur les terrains de sport. «Tout était objet de défi, il aimait tellement ça, en rigole encore Michel Perez. Même passer le balai ou faire la vaisselle, cela se réglait parfois au chifoumi ! Quant aux parties de belote avec son grand-père, je n'en parle même pas. » La proximité père/fils mais aussi l'aura de ce paternel bien connu dans la région tarbaise stimule son appétit de challenge. « À la pétanque, Victor ne voulait pas s'arrêter tant qu'il ne m'avait pas battu. Mais je ne le laissais pas gagner, même pas en rêve. » Pas de pression de résultat, mais pas de cadeau sur le pré pour autant :« Jamais je ne donnais dans la compassion, reprend Michel. Je préférais lui dire : « Tu n'as qu'à t'entrainer et un jour tu me battras.»

Dans la famille Perez, les boules, ça semble sérieux et pas question d'y jouer simplement comme ça, façon touriste. « Victor s'est fait un copain, qui jouait en équipe de France de pétanque. Alors il s'y est mis vraiment, au point de faire de la compétition avec lui ! » Ou déjà cette qualité de bien s'entourer, que l'on retrouvera avec son coach Mike Magher du coté de Biarritz dès ses 13 ans. Ou par le choix du caddy J. P. Fitzgerald (ex de Rory McIlroy), pour porter son barda sur les circuits.

Débutant fasciné, porte de caravane fracassée

Entouré par un père pédagogue et pas maladroit clubs en mains, Victor Perez vogue ainsi jusqu'à l'adolescence, délaissant peu à peu les passes vissées et tentatives de shoots à trois points au profit du golf. Récit de la découverte du swing, venue une fois encore d'une cassette, celles des fameuses leçons de Jean-Louis Calméjane et Patrick Cros : « Fasciné, raconte Michel, Victor s'est mis à taper des balles comme un fou avec son jeu de croquet. Son swing est parti de là, à trois ans. Il était comme un fou avec ça, il faisait des jeux dans le jardin et nous a même fracassé une porte de caravane parce que tout d'un coup, le drive a fini par partir. »

La suite est classique à l'image du parcours de milliers d'autres petits golfeurs qui ont simplement fait comme papa, avec une canne adulte rafistolée : « Avec un de mes clubs que je lui avais scié, on a commencé à faire des petits jeux dans le jardin. Il trouvait ça facile et on l'a amené à sa première compétition à 7 ans. A la fin de sa septième année, il était déjà passé de 54 à 25 d'index, puis il s'est retrouvé 5 à 10 ans. Il était champion de France poussins à 11 ans et demi. »

Le talent par l'humilité

Au basket, mais aussi au piano et comme à l'école, au minimum Victor se débrouille bien. Au mieux, ce couteau suisse excelle, comme s'en rend vite compte son géniteur au sujet du swing et des scores de son fils. Trophées et compliments s'accumulent, au point que Michel se dit vite que, peut-être, son fils pourra aller bien plus loin que l'Occitanie. Souvenir d'un stage de ligue Midi-Pyrénées, là où vers 12 ans les rêves fous d'Augusta ont pris forme : « J'entendais des choses (positives), venant d'enseignants reconnus comme Dominique Barquez, ou d'autres gamins parlant des "mains en or" de Victor. Alors j'ai fini par me dire que ça pourrait être vrai. »

Coach du fameux Stadoceste tarbais au tournant des années 2000, et sûrement aussi par l'attachement aux valeurs de modestie liées au rugby, papa Perez refuse toujours la moindre prise de melon. Mais il faut bien le constater, le petit a bel et bien ce truc en plus. « Victor, je l'ai vu d'abord passionné, appliqué, méthodique, pas trop couillon. Alors je me suis dit qu'il pourrait peut-être faire quelque chose. Mais aller aussi haut, non. L'Alps Tour, voire le Challenge Tour, pourquoi pas. Mais jusqu'à ce niveau... Je le savais doué, mais pas à ce point ! » Si vous cherchez les raisons de l'humilité souvent affichée par Victor Perez, elle est sûrement là, dans son ADN bien terre-à-terre.

« T'as perdu, t'as perdu, voilà »

Quand on passe son temps à jouer, il arrive que l'on perde. Plus que tout autre activité, le golf apporte au futur n°1 français ses déceptions, voire parfois de la tristesse. Michel Perez : « Bien sûr il y a eu des pleurs en rentrant du golf, je lui disais : "écoute Victor, tu viens de jouer au golf, on ne pleure pas parce qu'on a joué, t'as perdu, t'as perdu, voilà.". C'est peut-être les seuls moments de tristesse qu'il traversait, car c'était un gamin sans aucun problème, jovial et enthousiaste. »

Au contact de Mike Magher, le fils Perez s'endurcit. « Il lui fallait un mentor, quelqu'un de crédible à ses yeux comme l'est Mike », explique Michel qui laisse volontiers son rôle de coach à l'enseignant basé à Biarritz. L'entraineur américain lui inculque encore plus de rigueur et aussi, cette routine répétée à la seconde près que l'on observe aujourd'hui sur le Tour. Très vite, l'enfant se mue en pro miniature et se blinde, dans sa chair comme dans sa tête. Souvenir d'une des nombreuses mises en situation couteuse sur le coup, mais bénéfique pour la future carrière : « Victor venait de s'acheter trois bonnes balles, neuves. Et Mike l'a forcé à les utiliser sur le tee du 1 d'Ilbarritz... » Bilan, trois balles perdues et le souvenir d'une rage qui aujourd'hui encore fait rire les Perez. « Avec Victor, jamais d'excuse ou de mensonge, conclut le père. C'était ainsi avec les mauvaises notes à l'école et c'est toujours le cas s'il rate un cut, comme le week-end dernier sur le PGA Tour (Charles Schwab Challenge, ndlr). Ça sera toujours de sa faute, jamais celle des autres. » Perez fils assume. Tout comme ses promesses d'enfant, faites il y a bien longtemps devant sa télé.