C'est un endroit mythique qui n'a vraiment rien à voir avec Augusta. Ici, pas de portail, pas de contrôle, mais juste un passage ouvert vers le club-house et le tee du 1. Pas besoin d'être golfeur ni d'avoir booké un tee-time pour admirer ce que l'Amérique fait de mieux en termes de parcours public : on entre au Pebble Beach Golf Resort comme n'importe où ailleurs. Idéalement, il faut même venir de très bonne heure, s'offrir un petit déjeuner sur place, avec vue imprenable sur le tee du 1. Et sentir la nervosité des heureux élus à des mètres et des mètres, et s'amuser de leurs trajectoires dévastées par la tension. Slices dans les maisons à droite, quick hooks vers nulle part, chandelles, topons : la liste des ratés est infinie. Et plutôt drôle, il faut bien l'avouer.
Morts de peur
Ça le devient nettement moins quand c'est à notre tour de jouer. Parce qu'une fois qu'on a bien profité du practice haut de gamme, des bunkers au sable délicieux, du putting green immaculé et des sièges en cuir de la navette, on comprend vraiment ce qui se passe, driver en mains. Rattrapés par la panique, nous aussi, et on se demande bien ce qu'on va faire avec la balle. Pourquoi une telle tension ? Chuck Dunbar, head pro, a la réponse : « C'est pour moi ce qui définit un parcours de légende : si vous tremblez sur le tee du 1. Parce que vous savez que Woods, Nicklaus, Palmer et les autres ont joué ici... »

Du coup, on a un peu la trouille. On se dit que si on joue comme une truffe, on n'osera pas remettre trop de balles, parce qu'on va plomber le rythme de jeu. A-t-il senti notre fébrilité ? Toujours est-il que le starter s'est vite montré rassurant : « Gardez le rythme avec juste un demi trou d'écart sur le foursome suivant. Mais surtout, régalez-vous. Ce n'est vraiment pas un souci si vous ratez plein de shots. On a beaucoup de gens qui disputent ici leur premier parcours et font n'importe quoi, donc n'ayez pas de complexes. »
« C'est pour moi ce qui définit un parcours de légende : si vous tremblez sur le tee du 1. Parce que vous savez que Woods, Nicklaus, Palmer et les autres ont joué ici... »
Chuck Dunbar, head pro à Pebble beach
Aller sympa, retour assassin
Et Pebble se montre plutôt accueillant au début. Deux premiers trous assez simples, avec des greens presque plats. Puis un passage exquis du 4 au 6, où on oublie le parcours pour mieux savourer le reste : les falaises toutes proches, et l'océan à perte de vue. Le feeling au départ du 7, le mythique par 3 de moins de cent mètres ? Regardez les photos, pas besoin d'en dire davantage... C'est là que le sentiment d'être un privilégié sera le plus fort.
En revanche, la suite sera très violente. Le retour est une vraie torture : trous longs, greens minuscules et torturés, tout est fait pour vous faire disjoncter. Ça en devient parfois risible, surtout sur les putts en descente : on met à peine la balle en mouvement, pour la voir s'immobiliser dix mètres plus loin. Il faut des trésors de sagesse pour se dire que ce n'est qu'un jeu, et qu'on a de la chance d'être là. Parce qu'à un moment, on en a quand même marre de se faire humilier.

Numéro un
Et puis on oublie toute cette frustration à l'approche du final. Parce que le par 3 du 17 est fascinant : le green paraît se trouver de l'autre côté du Pacifique tant il semble inatteignable. Et parce que le 18 est vraiment dingue. Déjà, les images télé ne rendent pas justice à l'oppression imposée par l'océan, prêt à engloutir la moindre erreur de trajectoire. Et puis on comprend mieux pourquoi Greg Havret a joué fer 3 plutôt que rescue, sur son deuxième coup du dimanche, lors de l'US Open 2010. L'océan sur la gauche, encore et toujours, tellement flippant...
Chaque année, le Pebble Beach Golf Links se classe premier des parcours publics aux États-Unis. Et il reste systématiquement dans le top 10 lorsque les parcours privés entrent en jeu. Tout sauf un hasard. « Augusta est mon endroit préféré pour jouer au golf. Mais c'est à Pebble Beach que je préfère me rendre », a simplement dit Jack Nicklaus. La conclusion idéale.
Pebble Beach en questions

C'est cher ou pas ?
Plutôt, oui. 575 dollars le green-fee, toute l'année. Une vraie somme, quel que soit le taux de change. Ça peut paraître indécent, tout comme les prix des articles du pro-shop, de qualité supérieure mais pas franchement donnés. Mais après l'avoir joué, on vous l'affirme sans honte : franchement, ça vaut le coup de lâcher son gros billet. Au moins une fois dans sa vie.
À pied ou en voiturette ?
Comme vous voulez, c'est le même prix. Si vous jouez en voiturette, celle-ci ne doit pas s'écarter des petites routes, à l'écart des fairways et des roughs. Si vous jouez à pied, il vous faudra porter votre sac, parce que les chariots sont interdits. Deux raisons à cela : personne ne veut voir de traces de roues sur les fairways, et le resort encourage autant que possible le recours aux caddies.
Caddie ou pas ?
Si vous n'avez pas envie de porter votre sac, oui. Si vous n'avez pas envie de vous faire déchiqueter par les greens, trois fois oui. Après, c'est un peu du pile ou face. Vous pouvez tomber sur un gars adorable, disponible et sobre. Ou alors sur son exact contraire. Prévoir un fee de 80 dollars au pro-shop, plus un pourboire de trente dollars à remettre directement au caddie.
Et les arbres du 18 ? Toujours là ?
Oui, il n'y en a qu'un qui est tombé pendant la tempête de décembre 2014. Il y avait deux cyprès en tombée de drive du 18, et donc plus qu'un maintenant. Ce n'est pas un vrai drame historique : ces deux arbres avaient été plantés en 2004 pour remplacer deux pins malades. Mais la tempête de décembre était complètement dingue, digne de celle de 1967, selon certains témoins. 1967, l'année où Jack Nicklaus avait dû jouer un fer 3 sur le trou numéro 7. Un par 3 de 90 mètres, on le rappelle...
