Joël Stalter au Paris International Golf Club. (Albin Durand/Journal du Golf)
Joël Stalter au Paris International Golf Club. (Albin Durand/Journal du Golf)

Joël Stalter : « Une renaissance »

Joël Stalter, 28 ans, a remporté mi-juillet sa première victoire sur le circuit européen, six ans après son passage professionnel, et quatre ans après celle obtenue en Suède sur le Challenge Tour. Une longue quête pleine de douleurs et d'apprentissages, qu'il nous explique ici.

Il n'était même pas sûr de pouvoir rentrer dans le champ des deux épreuves autrichiennes de l'été, au vu de sa petite catégorie. Une aubaine qu'il aura bien mise à profit : 15e pour son tournoi de reprise, puis victorieux lors du second (Euram Bank Open 15-18 juillet). Avec à la clé une catégorie 4 pour le reste de l'année 2020, et une catégorie 13 pour 2021 l'équivalent d'un triple vainqueur sur le Challenge Tour qui lui permettra de tout jouer ou presque sur le Tour européen.

Une première victoire qu'il est allé chercher au bout d'une journée pluvieuse et interminable, et qui en a davantage raconté sur sa force de caractère que sur son swing ciselé. C'est ce qu'il s'est attaché à nous expliquer pendant plus d'une heure : le golf comme voyage intérieur, mais aussi la vie, ses embûches, ses sorties de route et ses moments de grâce. Un entretien plein de bon sens et d'intelligence.

Vous avez connu un dimanche très solide (68, -2, un seul bogey) pour aller chercher votre première victoire sur le grand circuit. Qu'avez-vous aimé chez vous ce jour-là ?

Joël Stalter : « Il y a deux trous qui racontent toute l'histoire. Je ne savais pas que j'étais en tête en sortant du green du 13, mais j'ai aperçu un leaderboard qui indiquait deux coups d'avance. Flora (Peuch, sa compagne qui le caddeyait ce jour-là, ndlr) a d'ailleurs essayé de me le cacher. Ça m'a fait marrer et je lui ai dit : "C'est bon, on ne va pas faire comme si on n'avait pas vu, on ne va pas nier le fait que je suis en tête." Mais au 14, je me suis retrouvé quelque part entre nervosité et excitation. J'ai tapé un super coup de wedge qui a fini derrière le green à cause de l'adrénaline, pour un chip deux-putts. Ce n'est pas le bogey qui m'a énervé à ce moment-là, mais mon attitude : ça faisait deux semaines que j'étais dans la prise de hauteur, et là, parce que j'étais en tête, j'avais voulu revenir dans le contrôle. Je me suis mis un coup de pied aux fesses en me disant : "Lâche. Tu ne gagneras pas si tu n'arrives pas à lâcher."

Ce que vous avez su faire au 15 ?

J. S. : Mon deuxième coup sur ce par-5, je m'en souviendrai toute ma vie. J'ai posé un fer-2 devant le green plutôt que tenter un bois-3, ce qui me laissait un chip difficile de 30 mètres avec un drapeau court. Ce n'était donc pas le meilleur coup niveau stratégie, mais c'est celui que j'ai choisi parce qu'il me permettait d'être offensif. Je savais que j'allais le réussir, et j'ai même failli rentrer le chip derrière. J'ai construit ce trou 15 de manière agressive et intelligente, en me connaissant. J'ai eu l'attitude dont j'avais besoin pour gagner. Pareil sur les trois trous suivants : j'ai joué à la fois safe et très agressif, à fond. J'ai réussi à renverser mon état d'esprit du 14, chose que j'étais incapable de faire avant. C'est ma grande fierté : avoir eu conscience de mes émotions et m'en servir comme un outil plutôt que de les subir. Que mon excitation, mon adrénaline et ma peur deviennent une arme.

Vous aviez connu d'autres opportunités de victoire auparavant, sans réussite. Ces échecs-là ont-ils joué un rôle dans cette première victoire ?

J. S. : Oui, bien sûr. Je savais comment je réagissais sous pression, et je savais comment je m'étais planté. Tout le travail, c'était d'être prêt le jour où je me retrouverais à nouveau en position de gagner. Mais je ne l'ai été qu'au trou 15, quand j'ai basculé. Au 14, j'étais encore dans mon ancien mode de fonctionnement. C'est normal, on revient toujours dans nos travers. Je pense même que c'est impossible de ne pas retomber dedans. Ce qui compte, c'est d'en être conscient et de changer les choses quand on y retourne. On ne peut pas éviter les émotions et faire comme si ça n'existait pas, comme si on n'était pas en tête d'un tournoi. Il faut s'en servir pour passer à autre chose et devenir encore meilleur. C'est ça, la clé.

On pense par exemple au dimanche du KLM Open en septembre 2017, un tournoi que vous étiez en mesure de remporter (un aller en -4, puis un retour en +3 pour finir 3e ex æquo à deux coups du vainqueur Romain Wattel).

J. S. : Je le dis clairement : à ce moment-là, je n'étais pas encore prêt à gagner. J'y suis trop allé au talent, et le talent n'a pas suffi sur les neuf derniers trous. C'est un peu les dieux du golf qui te disent : "OK, t'es bon, mais t'es pas encore assez bon." C'était ça, la leçon. Et un vrai coup dur, aussi : je finis 3e ex æquo et je perds ma carte pour 2 000 points. Un seul ex æquo en moins et je la gardais... On a tous des noeuds qu'on se fait au cerveau, sans même en être conscient. Je pense que cette histoire est restée dans ma tête pendant au moins un an. Je me suis enfermé dans un mauvais discours en me disant que je n'étais pas assez bon. Mais le problème n'était pas technique, il était mental. Je n'avais pas la prise de hauteur que j'ai aujourd'hui.

(Albin Durand/Journal du Golf)
(Albin Durand/Journal du Golf)

Vous n'échapperez pas à la question cliché : à quel point la première victoire est-elle essentielle pour pouvoir imaginer les suivantes ?

J. S. : Il y a un truc qui se débloque, tu te dis que tu peux gagner toutes les semaines. Mais le golf est tellement dur que tu te mets à rater trois cuts de suite et tu ne sais plus comment faire pour jouer le week-end (rires). Il est fascinant, ce sport. Mais tu es gagnant sur le long terme si tu fais les choses bien. J'en suis un peu la preuve. J'ai beaucoup travaillé, je me suis beaucoup investi, et au moment où on pouvait se demander si j'avais encore un avenir dans le golf, ça paie. Ça finit toujours par payer quand tu fais les choses bien, sauf que tu ne sais pas quand. Je jouais très bien depuis la sortie du confinement, mais j'avais besoin que les étoiles s'alignent. C'était écrit comme ça pour moi. C'est une renaissance.

La situation globale est plus que particulière depuis mars. Vous l'avez peut-être mieux traversée qu'un autre ?

J. S. : Le Covid-19 m'a permis de remettre plein de choses en question. On a une crise sanitaire globale, une crise économique qui se profile, j'ai eu le temps de beaucoup penser. Au début du confinement, avec le Challenge Tour mis entre parenthèses, je me disais que j'avais probablement un an et demi devant moi avant de pouvoir rejouer. Je comptais retourner ça à mon avantage, je me disais : tu as six ou sept mois devant toi où tu peux voir autre chose.

À quoi aviez-vous pensé ?

J. S. : Pas à des choses si concrètes que ça en fait, même si un de mes meilleurs amis qui travaille dans la finance en Suisse s'est dit prêt à m'embaucher du jour au lendemain. Le golf n'est pas devenu secondaire, mais la crise m'a amené à réfléchir sur ce concept : le golf n'est pas toute ma vie. C'était là, en face de moi, pour de bon. Tu y penses parfois quand tu es professionnel, mais en fait pas vraiment, parce que tu es pris dans les tournois et le reste. Là, c'était concret. J'en ai profité pour lire et faire pas mal d'autres choses. Une formation de trading en ligne, par exemple. Je suis sorti de la bulle golf.

Et que voit-on quand on sort de sa bulle ?

J. S. : Dans ma tête, je me disais que je pouvais être très heureux sans être pro de golf. Que le golf serait toujours une énorme partie de ma vie, mais plus toute ma vie. Quand on a repris, je me disais que ça n'était pas si grave si on ne jouait plus au golf. Je l'avais intégré. Je m'en rends vraiment compte un mois après ma victoire. Je ne l'ai pas intégré par défaut ou parce que j'étais dos au mur, mais par la réflexion. Le Covid m'a mis face à ça, je m'en suis servi pour trouver comment en sortir plus fort. C'est un peu triste à dire comme ça, mais le confinement a été parfait pour moi, l'étape finale pour tout intégrer.

« Aujourd'hui, quand je suis mécontent de moi, c'est de mon attitude et de mes performances mentales sur un parcours, pas des coups que j'ai ratés »

Joël Stalter

Une forme de méditation obligatoire ?

J. S. : J'ai pris un énorme recul sur ma vie, sur qui j'étais et qui je voulais devenir. Ce n'était pas un délire philosophique, mais une remise en question. C'est peut-être plus facile pour moi que pour d'autres, parce que je n'ai jamais été qu'un golfeur. J'ai fait des conférences pour deux sociétés sur ces sujets, une pour un de mes amis qui travaille pour Swiss Life et une pour mon sponsor Eficium. Elles m'ont permis de pousser mes recherches en faisant le parallèle entre leur métier et le mien. C'était fascinant, et aussi prescriptif car ça m'a permis de pousser ma réflexion. Tout ce travail a payé. C'est dingue la vie... Tu travailles dur, rien ne vient, c'est même de pire en pire, et au final ça se termine mieux.

Puisque vous êtes toujours golfeur, que pouvez-nous nous dire sur l'évolution de votre swing depuis que vous travaillez avec Kenny Le Sager (voir encadré) ?

J. S. : Déjà, j'ai une meilleure idée de ce que je veux faire. Avant j'étais très travail, travail, travail. Très studieux. Mais je sais maintenant qu'on peut l'être de plusieurs façons. Aujourd'hui, je fais beaucoup moins de practice et plus de parcours. Je sais comment je veux me trouver dans la balle, comment je veux bouger, et je vais jouer. Au putting-green, d'accord, je mets ma ficelle au sol, mais je fais beaucoup moins de stroke qu'avant. Je suis devenu moins perfectionniste. Je me suis rendu compte qu'être perfectionniste, c'était avoir peur. Ou essayer de cacher sa peur. Les deux années qui viennent de passer ont été très dures, mais aussi très bénéfiques. J'ai découvert quel golfeur j'étais et celui que j'étais voué à devenir, et non pas celui que je rêvais d'être. Ce sont deux choses bien différentes. J'ai fait le deuil avec certaines parties de mon jeu. Je sais que je ne serai pas Brooks Koepka ou Bryson DeChambeau, mais juste Joël Stalter.

Le mot « deuil » résonne très fort, tout de même...

J. S. : J'ai compris qui je devais être pour réussir dans le golf. Il y a cette petite voix, en anglais, on l'appelle le "Fear of Missing out" (le syndrome FoMo, la peur de rater quelque chose, ndlr). Elle vous fait dire : "Je suis là et pas en train de m'entraîner, c'est pas bien. Je suis à la maison en train de me reposer alors que d'autres sont en tournoi, c'est pas bien"... J'ai compris que c'était la peur de ne pas être assez bon. Aujourd'hui, quand je suis mécontent de moi, c'est de mon attitude et de mes performances mentales sur un parcours, pas des coups que j'ai ratés.

Alors au final, qui est le Joël Stalter golfeur ?

J. S. : Celui qui aime bien fumer un cigare de temps en temps, qui aime bien boire une bonne bouteille de vin en tournoi s'il en a envie. Un golfeur qui sait qu'il n'a pas besoin de jouer sept tournois d'affilée et qui a appris à s'écouter. Je sais quand je suis là mentalement, je sais que certaines semaines, je ne dois pas y aller parce que je ne suis pas dans les bonnes dispositions pour performer. Ça paraît bête n'est-ce pas, mais fumer le cigare de temps en temps, ça me permet de philosopher. Ça fait partie de qui je suis. Si j'ai envie de ça un jour plutôt que d'aller faire une séance de sport, je vais le faire. Je sais que c'est meilleur pour moi. Avant, je serais allé à la salle de sport, faire mon stretching, je serais resté enfermé dans ma recherche et mon idée du haut niveau.

Qui sont vos plus grandes sources d'inspiration ?

J. S. : Victor Perez. Pour moi, c'est le meilleur là-dedans. Tu l'écoutes ou tu le regardes, tu ne sais pas s'il est à +5 ou à -4, je trouve ça fascinant. Il y a très peu de joueurs qui sont capables d'avoir cette hauteur et cette élégance. J'ai vu son ascension, il n'est pas là par hasard. Tout son travail en amont est extraordinaire, il m'a énormément inspiré. S'il y en a un qu'il faut copier en termes d'attitude et de connaissance de soi, c'est lui. Il est très méticuleux, maniaque avec ses chiffres et son TrackMan, mais c'est sa façon de faire. Il a trouvé comment fonctionner.

(Albin Durand/Journal du Golf)
(Albin Durand/Journal du Golf)

C'est si compliqué de bien se connaître ?

J. S. : Il faut mettre l'ego de côté, ce qui est difficile pour tout être humain. Ça demande de l'aide. J'en ai trouvé avec ma psychologue (Deborah Graham), une démarche que tout le monde devrait faire d'ailleurs. Ça ne vaut pas dire qu'on a un problème, juste qu'on veut s'améliorer. Et être à l'écoute de ce que tu n'as pas forcément envie d'entendre. Quand je jouais moins bien, je l'ai beaucoup consultée. C'est une dame extraordinaire, elle a les réponses mais elle ne va pas te les donner, elle va faire en sorte que tu les trouves toi-même. Tu as parfois besoin de te prendre un mur pour être capable de l'éviter la fois d'après.

« J'oscille un peu entre les deux, l'artiste, et le type qui veut être dans le contrôle. Ce sera la bataille de ma vie »

Joël Stalter

D'autres joueurs que vous observez ?

J. S. : Victor Perez est notre locomotive, mais j'admire beaucoup Mike Lorenzo Vera (MLV) aussi. Il était au sommet, il est redescendu aux enfers, puis il est revenu pour un parcours sans faute. C'est un exemple pour moi. Ce qui m'a vraiment fasciné chez lui : l'année où il revient sur le Tour (en 2015, ndlr), il dispute à peine 20 tournois et ne va pas jouer en Chine, alors qu'il sort de plusieurs années infernales. Parce qu'il sait qu'il ne doit pas trop jouer pour être bon. C'est fort. Tout le monde pense qu'il retombe dans ses travers, alors qu'il a juste compris comment il devait fonctionner. D'ailleurs, il ne fait que progresser depuis. C'est dingue, il ne joue pas un tournoi après le confinement, recommence par l'USPGA et il est 2e après deux tours. C'est fascinant. Il est en accord avec le golfeur qu'il doit être. La seule vérité, c'est celle qui est bonne pour toi.

Perez avait fait un peu la même chose l'an dernier...

J. S. : En n'allant pas jouer à Wentworth, oui, parce que ça n'allait pas dans son calendrier. On a quand même un rookie qui ne va pas jouer le plus gros tournoi européen, et la semaine suivante, il gagne le Dunhill. Je trouve ça magique. C'est ce qui sépare les plus grands des autres. Je ne peux pas copier Perez et MLV, mais en revanche, je peux m'inspirer de la manière dont ils gèrent leurs carrières.

Émotionnellement, comment vous définiriez-vous ?

J. S. : Je suis un grand sensible. La nature, la musique... J'ai quand même un côté artistique en moi. Et dans le même temps, une partie data, très rationnelle. Quand je fatigue, je sens que je retombe vite dans le perfectionnisme. J'oscille un peu entre les deux, l'artiste, et le type qui veut être dans le contrôle. Ce sera la bataille de ma vie, ça (rires).

Kenny Le Sager nous affirmait récemment que vous n'étiez pas un « bourreau de travail ».

J. S. : C'est une maladresse de communication de sa part, mais je vois ce qu'il a voulu dire. Lui, joueur, a toujours eu besoin de frapper des balles pendant des heures. Un bourreau de travail, donc. Je l'ai été, moi aussi, et c'est ce côté obsessionnel qui m'a empêché de passer à l'étape supérieure. Quand j'ai perdu ma carte, je me suis dit : "Tu n'es pas assez bon, travaille davantage. Fais plus de technique, putte mieux, etc." Je me suis enfermé là-dedans, j'ai fait des pèlerinages, je suis allé voir tel coach puis tel autre, je filmais tout, mais ça n'a fait qu'empirer. Donc quand Kenny dit ça, on voit bien où il veut en venir, au-delà de la maladresse. Il a bien compris, c'est comme un frère pour moi, quelqu'un qui est là depuis le début de ma "renaissance". Pourtant, on en a passé du temps à se prendre la tête au practice. Mais c'est quand j'ai arrêté ça que j'ai pris mon envol.

Plus de retour en arrière possible, donc ?

J. S. : Demain, si je veux passer dans les 50 ou 20 meilleurs mondiaux, il faudra que je sois là-dedans. Le travail de base, je l'ai fait depuis toutes ces années, au practice. Aujourd'hui, je travaille différemment. Ça peut être par exemple passer deux heures à lire un bouquin sur le fonctionnement du cerveau. Une activité qui pour moi sera bien plus bénéfique qu'aller trois heures au practice. Tout le monde ne peut pas comprendre cette façon de faire, parce que le cerveau n'aime pas être dans le flou. Alors on aime rationaliser et dire : celui qui travaille dur va réussir. Car ça, on peut le toucher.

(Albin Durand/Journal du Golf)
(Albin Durand/Journal du Golf)

Thomas Levet nous expliquait un jour que Victor Dubuisson travaillait bien plus qu'on ne le croyait, déjà parce qu'il pensait beaucoup à son jeu.

J. S. : Mais Victor, c'est un bourreau de travail ! Dans un sens qu'on ne peut pas comprendre, parce qu'on ne vit pas dans la même réalité. Victor, c'est fascinant. Il est tellement possédé par les coups qu'il veut faire que rien ne l'arrête. C'est un obsessionnel. Et croyez-moi, si un jour il décide de devenir n° 1 mondial, il va le faire ! Après, il fonctionne différemment. Mais personne ne peut dire qu'il ne travaille pas. Il est dans une réflexion sur son jeu très impressionnante. Tu ne joues pas une Ryder Cup en étant 15e mondial simplement sur le talent. C'est une vision simpliste. C'est notre cerveau qui veut ça, qui va s'adapter et simplifier pour trouver une réponse qu'il n'a pas. Avec Victor, on a un exemple parfait : comme on ne sait pas pourquoi il joue aussi bien, on va dire qu'il ne bosse pas, ou d'autres trucs complètement faux.

« J'en étais arrivé à oublier les raisons qui me faisaient jouer au golf. Il a fallu réapprendre à aimer le golf. À aimer ma vie, même »

Joël Stalter

Vous parlez souvent d'intelligence émotionnelle.

J. S. : Les dix prochaines années, on ne parlera que de ça. Plus de QI, mais de QE (quotient émotionnel). Moi, j'avais le choix entre ne rien changer ou m'élever. Je ne serais pas où j'en suis aujourd'hui si j'avais choisi de continuer à m'enfermer au practice comme un dingue. Je reviens sur mes conférences de cet hiver, ce que j'adorerais faire à nouveau d'ailleurs. J'ai passé des heures et des heures à écrire, à préparer. J'ai un bloc-notes avec moi où je note des tas de trucs, des extraits de livres, des choses dont je veux me rappeler. Et ça, je dis que c'est du travail. Mais ce n'est pas évident, l'être humain aime bien les raccourcis pour éviter de se retrouver dans le flou. On est très binaires en fait. Cerveau gauche, cerveau droit, le bien le mal, le blanc ou le noir. Mais la vie, c'est souvent gris.

Vous estimez avoir touché le fond, à un moment ?

J. S. : Fin 2019, oui. Je ne suis pas allé jouer en Chine, ça ne servait à rien, je me disais qu'il fallait que je remette ma vie d'équerre. C'était dur à vivre, mais je me disais qu'il y avait une raison.

Quelle a été l'influence de ces galères sur votre vie quotidienne ?

J. S. : Ce qui me plombait le plus, c'était que je n'étais plus heureux quand j'arrivais sur un parcours. Même sur les bons tournois, je me disais : "Mais qu'est-ce que je fous là ?" J'en étais arrivé à oublier les raisons qui me faisaient jouer au golf. Il a fallu réapprendre à aimer le golf. À aimer ma vie, même.

Vous avez un beau diplôme (Haas School of Business, décroché à l'université de Berkeley, en Californie) et un bon carnet d'adresses. Vous avez été tenté d'y recourir, pour sortir du golf professionnel ?

J. S. : C'était difficile d'imaginer réfléchir aux autres options, parce que tu dois tout reprendre à zéro. Tu passes d'expert dans ton domaine à novice dans un autre. Et c'est un vrai challenge où il faut être prêt intérieurement, à se dire qu'il va falloir cinq ou dix ans pour à nouveau revenir, peut-être, à un haut niveau. On ne peut pas aller dans une autre voie par dépit.

À quel point votre formation à Berkeley vous a-t-elle aidé à traverser ces mauvais moments ?

J. S. : C'était une expérience de vie là-bas, où j'ai été livré à moi-même pendant quatre ans. Ma curiosité s'est développée, tu rencontres des gens fascinants qui réussissent chacun dans leur domaine. Je ne leur parlais pas de golf, je m'intéressais à leur parcours. Et c'est cette curiosité qui m'a ensuite permis de mieux réfléchir sur moi-même. Je voulais ressembler à certains, et absolument pas à d'autres. Elle est là, la vraie plus-value, pas dans le diplôme lui-même.

« Le Tour européen peut-il continuer à vivre comme ça ? Je ne crois pas. Un rachat PGA Tour serait bénéfique pour tout le monde »

Joël Stalter

Vous aimeriez retourner outre-Atlantique, sur le PGA Tour ?

J. S. : Pour jouer les plus gros tournois, oui. Mais est-ce que j'ai besoin du PGA Tour pour être heureux dans ma vie ? Je ne crois pas. J'en reviens encore à l'essentiel : il faut trouver un semblant de bonheur dans ce qu'on aime faire. Jouer un tournoi au Danemark moins bien doté ? Ce n'est pas un souci, parce que j'aurai ce plaisir à y aller. La vie en Europe est plus riche, quand même.

Vous semblez militer pour un rachat du Tour européen par le PGA Tour ?

J. S. : C'est ce qui devrait se passer et ce serait assez logique. Le PGA Tour croule sous les sponsors. S'il y en a un qui se retire, un autre prend sa place, comme avec John Deere et Workday début juillet. Ils ont des listes d'attente alors qu'ici, on peine à avoir des tournois, dans des pays différents régis par des lois différentes. Et on n'a pas de réserves financières, contrairement aux Américains. Le Tour européen peut-il continuer à vivre comme ça ? Je ne crois pas. Un rachat serait bénéfique pour tout le monde.

Quel serait l'intérêt pour les Américains ?

J. S. : D'avoir une domination mondiale. À l'américaine, genre on contrôle le monde. De pouvoir donner des opportunités aux joueurs américains en Europe, et de donner des places aux Européens chez eux. Avec cependant une concurrence évidente avec le Korn Ferry. Je n'ai pas toutes les réponses, mais la question aujourd'hui, c'est surtout : est-ce que le Tour européen a les ressources pour organiser une saison en 2021 avec des dotations convenables ? »