Joanna Klatten, en shooting au golf de Saint-Cloud. (Sébastien Vincent/Journal du Golf)
Joanna Klatten, en shooting au golf de Saint-Cloud. (Sébastien Vincent/Journal du Golf)

Joanna Klatten : « Être la meilleure coach possible »

On la pensait démotivée par la perte de ses droits de jeu sur le LPGA Tour, abattue par l'interruption du Symetra Tour, blasée par son rapatriement en France. C'est une Joanna Klatten entreprenante et ambitieuse que l'on a retrouvée sur la terrasse du golf de Saint-Cloud (92), au crépuscule du mois d'août. Parée de ce sourire qui ne la quitte jamais, la Française a rapidement abordé son nouveau projet et principale occupation de ces dernières semaines : le coaching. Sans abandonner l'idée de rejouer au plus haut niveau.

Joanna, on vous a quitté il y a presque un an, au sortir d'une troisième place au Lacoste Ladies Open de France. Avez-vous vécu cette semaine comme une renaissance ?
Joanna Klatten : « Une semaine extraordinaire, disons. Je n'avais pas d'attentes, je sortais d'une saison pathétique, on peut le dire. Je venais de perdre ma carte du LPGA Tour et je ne rentrais pas sur les tournois de fin de saison. Je suis arrivée découragée et, au golf du Médoc, j'ai trouvé un pansement, une sensation à laquelle je me suis tenue toute la semaine. J'étais dans de bonnes dispositions puisque je logeais chez des amis et j'avais l'un des meilleurs copains au sac. Et puis le fait de jouer à la maison, en France, c'est quand même une motivation supplémentaire.

Avez-vous réussi à tirer parti de cette performance pour la suite de la saison ?

J. K. : Pas vraiment... Je me suis rapidement préparée pour les cartes américaines, que j'étais contrainte de repasser. Je termine 10e du "Stage 2" avec Céline (Herbin), mais j'ai malheureusement très mal joué à la finale, j'en mettais partout au drive. C'était vraiment une semaine à oublier. Je me suis donc retrouvée sans droit de jeu sur le LPGA Tour, et obligée de repasser par le Symetra Tour, la deuxième division américaine.

Que s'est-il passé alors entre vos deux oreilles ?

J. K. : J'ai réfléchi, longtemps. (Elle s'interrompt) J'ai d'abord pensé à prendre ma retraite, mais je sentais que ce n'était pas le moment. Que j'avais encore trop envie de jouer. Je venais de rencontrer un coach aux États-Unis (Scott Hamilton, ndlr) et j'avais quelques espoirs. Je me suis entraînée très dur pendant l'hiver, à Paris. Je me remotive et je débarque sur le Symetra Tour début mars. Je joue très bien et je me retrouve tout près de la tête lors du dernier tour, mais à cause d'un putting lamentable je me contente d'une 30e place. Et là, le Covid-19 arrive. Quand ils ont annoncé que ce serait une saison blanche, j'ai reçu une énorme claque dans la figure. En gros, que je joue ou non les tournois, aucune montée n'était possible. Je savais donc que je ne pourrais pas remonter sur le LPGA Tour avant 2022, et que je repartais pour une année supplémentaire sur le Symetra.

Un retour sur le Symetra Tour n'est donc plus d'actualité...

J. K. : (Elle coupe) Pas cette saison, c'est clair. Ça ne présentait aucune utilité de repartir aux États-Unis pour jouer cinq ou six tournois. Il ne faut pas oublier que le Symetra, ça coûte un argent fou : 500 dollars d'inscription par tournoi, la location de voiture, l'hôtel car on ne peut plus dormir chez l'habitant, etc. D'autant que j'aurais eu deux semaines de quarantaine, et si tu attrapes le Covid-19, c'est de nouveau deux semaines dans un hôtel miteux. Tout ça pour ne pas pouvoir monter sur le LPGA Tour, quel intérêt ? Je ne pouvais pas m'aventurer de l'autre côté de l'Atlantique avec autant d'incertitudes.

« Je vais mettre autant de passion dans mon enseignement que dans ma carrière de joueuse professionnelle. »

Joanna Klatten

Ce déclic vous a-t-il immédiatement menée vers l'enseignement ?

J. K. : Progressivement. J'ai un peu tout remis en question. J'ai eu un accident de monoroue en France, où je me suis fissuré le tendon rotulien, ce qui m'a permis de me poser six semaines et de réfléchir à la suite. J'aime deux choses dans la vie : le golf et le contact avec les gens. Qu'est-ce qui rassemble les deux ? L'enseignement. C'était une évidence. Depuis que je me penche sur la technique et la pédagogie, ça me passionne. Je ne suis pas quelqu'un qui aime passer mes journées sans objectifs donc, en l'absence de tournois, je me suis lancée à fond dedans.

Où en êtes-vous côté diplômes ?

J. K. : Je suis en train de passer la formation américaine TPI (Titleist Performance Institute), qui permet de comprendre les mécanismes du corps pendant un swing. À partir de fin septembre, j'attaque le BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport) en partenariat avec la Fédération française de golf, qui se déroule sur un an. Je n'ai pas besoin d'assister à tous les cours en tant que joueuse de haut niveau, j'aurai donc pas mal de liberté pour jouer. En parallèle, je passerai le niveau 2 de TPI, ce qui devrait me permettre d'avoir trois diplômes en poche à l'horizon septembre 2021.

(Sébastien Vincent/Journal du Golf)
(Sébastien Vincent/Journal du Golf)

Quelle enseignante souhaitez-vous devenir ?

J. K. : Je vais y mettre autant de passion que dans ma carrière de joueuse professionnelle. J'essaierai d'être la meilleure coach possible. Mais j'ai tout à apprendre ! Je suis persuadée que ce n'est pas parce que tu as été une bonne joueuse que tu sais forcément bien enseigner. Au contraire, les joueurs pros n'y connaissent souvent pas grand-chose, et ils essaient de te faire ressentir ce qu'eux ressentent. Je suis très curieuse et je vais profiter de mes contacts aux États-Unis pour apprendre des meilleurs coaches.

Qui seront vos mentors dans cette nouvelle carrière ?

J. K. : Cet hiver, j'ai prévu de passer plusieurs semaines à Dallas avec Randy Smith. Il entraîne Ryan Palmer, Scottie Scheffler, il a eu Justin Leonard... Je veux apprendre l'art de coacher avec lui. Il n'enseigne pas une seule manière de swinguer mais plusieurs, en s'adaptant à chaque joueur ; il ne dira jamais la même chose à deux personnes. C'est fondé sur les capacités et limitations physiques de chacun, et c'est ce que je cherche. Côté pédagogie, j'irai voir Josh Gregory, ancien coach de l'université d'Augusta et qui navigue désormais sur le PGA Tour. Ce mec est comme un Butch Harmon, il sait mettre en confiance ses joueurs. Il te transcende, te motive, te fait croire en toi, trouve les bons mots pour te rendre meilleur. C'est un sport suffisamment difficile comme ça, donc il faut un coach qui te pousse sans t'enfoncer, et qui s'adapte à la personnalité du joueur.

Et en France, avez-vous des références ?

J. K. : Bien sûr ! Je vais faire mon alternance à Saint-Cloud, je serai donc aux côtés de Cédric Doucet. J'ai beaucoup à apprendre de lui. Il maîtrise tout ce qui est TrackMan, plaques de force, les machines 3D. Même si je veux être une coach simple et garder le côté naturel, il faut que je comprenne très bien la technique pour pouvoir ensuite simplifier. C'est comme quand tu apprends les maths : si tu ne comprends pas la formule, ce sera compliqué de faire les calculs. Je vais aussi aller voir Nicolas Tacher pour le TrackMan. J'essaierai de prendre des petites pièces chez chacun.

La FFGolf, est-ce quelque chose qui vous intéresse ?

J. K. : Pas à plein temps car j'aimerais aussi être dans les clubs et m'occuper des équipes, enseigner à l'école de golf... Mais j'aimerais beaucoup être aux côtés des équipes de France. Je pense avoir beaucoup de choses à apporter en tant que coach d'équipe. Mettre en confiance, préparer une stratégie, ce sont vraiment mes points forts. Je sais que ça va me passionner et que je me donnerai à fond pour mes joueurs et joueuses.

« Mike Whan, c'est la meilleure chose qui soit arrivée au LPGA. Je ne vois pas pourquoi il serait incapable de faire la même chose pour le LET. »

Joanna Klatten

Avez-vous perdu le goût du haut niveau ?

J. K. : (Elle coupe) Pas du tout. J'ai toujours un plein statut sur le Symetra Tour, si je veux jouer quelques tournois. Si je fais un énorme résultat et que je grimpe sur le LPGA Tour, je ne suis pas à l'abri de revenir à temps plein. Je n'ai pas complètement perdu cette envie de jouer. Mais je ne perds pas de temps et je prépare mon après-carrière. Dans l'idéal, j'aimerais faire comme Robert Rock, qui entraîne des joueurs (Matt Wallace, Lee Westwood et Matthias Schwab, ndlr) tout en jouant sur le circuit de temps en temps. L'envie est toujours là, mais quelque part, ça me rassure d'avoir quelque chose pour rebondir après.

Vous allez disputer le Lacoste Ladies Open de France, du 17 au 19 septembre. À quel point est-ce important de jouer votre open national ?

J. K. : J'ai toujours dit que, pour quasiment rien au monde, je ne raterais un open de France. Avec Évian, c'est ce qu'il y a de plus important dans une saison. Le tournoi se joue toujours sur des parcours que j'aime beaucoup. Et c'est un tel bonheur de jouer en France, avec beaucoup de gens qui nous suivent et nous supportent. Comme cette occasion est rare, j'essaie de ne pas la rater.

Que pensez-vous de la reprise en mains du circuit européen par le LPGA Tour ?

J. K. : C'est absolument génial. J'étais à la réunion où Mike Whan (patron du circuit féminin américain) a présenté son projet devant toutes les joueuses du LET, en décembre. Et c'est la première fois en six ou sept ans qu'aucune joueuse ne s'est levée pour protester ou remettre quelque chose en question. Tout le monde était admiratif. Il nous vendait du rêve mais c'était fondé, on sentait que ce n'était pas des paroles en l'air. Mike Whan, c'est la meilleure chose qui soit arrivée au LPGA. Je ne vois pas pourquoi il serait incapable de faire la même chose pour le LET.

Les tournois mixtes, comme le Scandinavian Mixed lancé par Annika Sörenstam et Henrik Stenson, peuvent-ils être des solutions ?

J. K. : Pourquoi pas, c'est sympa ! J'adore jouer avec les hommes, je trouve ça très bien. J'ai toujours rêvé de pouvoir faire une sorte de Ryder Cup mixte. L'ambiance serait dingue, ça pourrait être vraiment drôle, spectaculaire tout en étant glamour. Même si je sais que tout le monde n'est pas d'accord là-dessus (rires). Donc les tournois mixtes, j'adore.

(Sébastien Vincent/Journal du Golf)
(Sébastien Vincent/Journal du Golf)

Que vous évoque la comparaison avec le circuit masculin (prize-money, médiatisation) ?

J. K. : (Elle réfléchit) Franchement, je comprends complètement. À partir du moment où il y a moins de téléspectateurs qui regardent, il ne faut pas s'étonner que ça génère moins d'argent. Je ne me suis jamais trop plainte là-dessus parce que, si sur le LET les gains sont un peu ridicules, ils sont loin de l'être sur le LPGA. Ça reste l'un des seuls sports avec le tennis où les femmes peuvent très bien gagner leur vie sans devoir faire un boulot à côté, à l'inverse du basket ou du foot. Au golf, on n'est pas à plaindre.

«  Un mec de 4 d'index, je le prends des boules blanches tous les jours. »

Joanna Klatten

Le golf féminin souffre-t-il d'un manque de reconnaissance en France ?

J. K. : Déjà que le golf en général n'a pas une place énorme, c'est clair que le golf féminin est encore plus derrière. Mais ce qui m'énerve le plus, c'est quand je lis des commentaires sur les réseaux sociaux du type : "Qu'est-ce qu'on en a à foutre du golf féminin ? Je suis 4 de handicap et je bats n'importe quelle joueuse du LPGA." Le gars qui écrit ça, je le prends des boules blanches tous les jours. (Elle répète) Tous les jours ! Il ne faut pas nous prendre pour des tartes. Bien sûr que McIlroy ou Johnson sont plus spectaculaires, mais de là à dire qu'on joue moins bien que des hommes ayant 4 de handicap... Un peu de respect. C'est aussi valable pour Karine Icher, Céline Boutier, Céline Herbin et toutes mes consoeurs. Aucun homme de ce niveau-là, partant des mêmes boules, n'a une chance de les battre. Certes, on ne peut physiquement pas taper la balle à 320 mètres. Mais à côté de ça, on est précises et on a un bon petit-jeu. Les joueuses du circuit américain sont très fortes à moins de 100 mètres, et je ne suis pas certaine que les hommes soient tellement supérieurs dans ce compartiment du jeu. Bref, ce sont des clichés, du machisme et surtout de la bêtise.

Ne rêveriez-vous pas de plus d'intérêt de la part du public français ?

J. K. : Ça ne me dérange vraiment pas de passer dans l'anonymat. Quand je vois le quotidien de certaines filles, comme Lexi Thompson ; je dînais avec elle dans un restaurant, et quelqu'un venait nous interrompre toutes les cinq minutes pour une question, une photo ou un autographe. On ne pouvait même pas discuter ! Avoir une vie comme tout le monde, ça me va très bien. Tant qu'on peut en faire son métier et bien gagner sa vie... Comme le golf féminin n'a pas une grosse importance en France, je sais qu'on va me traiter comme n'importe qui et ça me va très bien.

Que pensez-vous de la place des femmes dans les clubs de golf ?

J. K. : Une femme doit rester libre de faire ce qu'elle veut. Aujourd'hui, je trouve que le golf est assez égalitaire entre les hommes et les femmes. Il reste évidemment quelques choses à changer. Quand un club est ouvert aux deux sexes mais que le club-house est fermé aux femmes, je trouve ça stupide. Les pancartes "Interdit aux femmes et aux chiens", comme on a pu le voir dans les pays anglo-saxons (il y a fort longtemps), c'est pathétique. Mais en France, franchement, on est bien. Je n'ai jamais eu de remarques ni de soucis, les gens ont toujours été sympathiques et courtois avec moi.

Où est-ce que vous vous voyez dans deux ans : sur le terrain ou derrière les cordes ?

J. K. : (Elle réfléchit) Je préférerais répondre à cette question après l'open de France, car j'aurais beaucoup de réponses de mon côté. Alors pour l'instant, je ne réponds rien ! »

(Sébastien Vincent/Journal du Golf)
(Sébastien Vincent/Journal du Golf)

Joanna est habillée par Lacoste. Aux pieds : sneakers Ace lift bicolores en cuir (130 €). En haut : robe polo ceinturée en piqué de coton souple (165 €). En haut : polo golf sport et polo relax fit (80 & 110 €). En bas : jupe plissée à ceinture élastique (175 €). À retrouver sur lacoste.com/fr.