(Albin Durand)
(Albin Durand)

50 nuances de vert

Pas facile de comprendre que vouloir du vert, ce n'est pas nécessairement écoresponsable. Pourtant tout l'enjeu est bien là quand on se pose LA question : le golf est-il une activité sportive contre nature ? En d'autres termes, le vert est-il vraiment si... vert ?

Un bout de paysage et de nature façonnés par l'homme, pour son seul plaisir, à grand renfort d'engins bruyants, de produits chimiques et de mètres cubes d'eau. Voilà la caricature tenace du parcours de golf et de son entretien. Comme tout portrait grossier, il comporte un brin de vérité, mais surtout un gros bout de (très) mauvaise lecture. Lorsqu'on a cherché à illustrer ce numéro de Journal du Golf, on est tombé sur Étienne Pillier. Pas à première vue pour sa fibre écolo affirmée. Ni pour le caractère reconnu en la matière de L'Isle-Adam, le sublime parcours qu'il bichonne à longueur d'année dans la région parisienne.

On a plutôt voulu mettre en avant un symbole véhiculé, plus ou moins malgré lui, par ce greenkeeper de 26 ans. Celui d'un grand écart entre deux volontés : protéger l'environnement dans lequel s'inscrit le parcours et répondre aux exigences de perfection de ses clients. En échangeant avec Étienne, on comprend que le golf oscille toujours entre deux mondes. Celui du vert immaculé qu'on qualifierait vulgairement de commercial, et celui d'un vert plus naturel. Mais on se rend compte aussi que ces deux mondes sont capables de se parler, de se comprendre et même de se compléter. « Je crois que ça fait partie d'une évolution plus globale de nos sociétés, confirme le greenkeeper. On recherche des vêtements plus écologiques, des façons de se déplacer plus vertes. Il est normal de vouloir aussi des golfs davantage respectueux de l'environnement dans lequel ils se trouvent. »

L'entretien de demain

Tout le paradoxe réside pourtant dans l'absolue perfection de l'écrin de verdure qu'Étienne Pillier a en charge. Rien ne dépasse, la nature est parfaitement domestiquée en accord avec les demandes haut de gamme de ses golfeurs-clients. « Ils sont conscients de ces problématiques globales d'environnement, tempère le jeune greenkeeper. On échange de plus en plus sur ces sujets avec eux depuis quelques années et c'est une très bonne chose. » Mais de là à voir rejaillir de mauvaises herbes dans les bunkers et des pâquerettes plein les fairways, il y a encore une petite marge. Et puis, Étienne ne cache pas qu'il adorerait recevoir une épreuve professionnelle, histoire que son bijou vert fasse aussi bel effet à la télé. Quoi de plus naturel ?

« Si nos parcours sont si verts, demandent autant d'engrais, d'eau et d'interventions mécaniques, c'est bien de notre faute. »

Pour autant, cette dictature du vert risque d'avoir du plomb dans l'aile. On parle de 2025 comme date butoir pour l'interdiction des produits phytosanitaires. Et après ? À quoi ressembleront nos parcours, nos greens et nos fairways ? Étienne Pillier a sa petite idée : « L'entretien en soi ne va pas être très différent. Mais l'esthétique des parcours en prendra certainement un coup. Ils seront moins nets, un peu plus "sales". Il ne faut pas se mentir : accepter les mauvaises herbes et des fairways blancs de pâquerettes, ça ne se fera pas en claquant des doigts. Pour autant, il existe des méthodes naturelles pour gérer au mieux ces problématiques. Tout dépend de la volonté qu'on veut bien y mettre. »

Et cette volonté c'est d'abord la nôtre, nous, les golfeurs, qui arpentons ces mêmes fairways. Car si nos parcours sont si verts, demandent autant d'engrais, d'eau et de multiples interventions mécaniques, c'est bien de notre faute. Parce que c'est ce que nous exigeons. « Imaginer un golf haut de gamme, mais respectueux de son environnement, c'est tout à fait possible, tempère Étienne Pillier. Mais ça implique des choix radicaux qui ne passent pas forcément aux yeux des joueurs ou des directions de golfs. » Comme, peut-être, d'accepter sans râler des fairways jaunes en été. Ou d'apprécier des greens moins rapides, mais tenant tout aussi bien la ligne, car moins stressés à longueur d'année.

(Albin Durand)
(Albin Durand)

Le retour à la terre

Au fond, c'est peut-être à chaque golfeur de se poser quelques questions. Et si on ne posait plus le même regard sur le golf ? Si au lieu d'un fairway, d'un green, de 18 trous qui s'enchaînent avec plus ou moins de réussite, on prenait aussi le temps de jeter l'oeil ailleurs. Pourquoi se contenter d'une unique nuance de vert quand c'est une palette infiniment plus riche qui entoure notre terrain de jeu ? Regardons ce qui vole au-dessus de ces plans d'eau qu'on redoute parfois. Ce qui pousse le long de ces fairways qu'on ne trouve jamais assez larges.

« Non, on ne se permettra pas de clamer haut et fort que le golf est une activité totalement verte. »

Et si, au lieu de simplement consommer le golf et ses installations, on prenait aussi le temps de se rendre compte du caractère unique que revêtent nos parcours. Oui, ce sont des endroits façonnés, domestiqués, régulés par l'action humaine. Mais ce sont aussi de véritables sanctuaires d'une immense richesse naturelle. Pourquoi ne pas réfléchir le golf de façon plus large ? Pourquoi ne pas réserver quelques mètres carrés potagers pour alimenter en circuit très court les restaurants du golf ? Pourquoi ne pas initier les enfants des écoles de golf à cette observation, à cette compréhension et donc à cette protection d'un environnement qui est déjà le leur. Le grand écart s'amenuisera peu à peu si chacun prend conscience de cette richesse.

Non, à travers ce dossier, on ne se permettra pas de clamer haut et fort que le golf est une activité totalement verte. Ce serait caricaturer la réalité de ce qu'il demeure aujourd'hui. Mais notre sport est en pleine prise de conscience. Elle ne date pas d'hier bien sûr, mais ses effets sont d'autant plus visibles que la problématique du développement durable se fait criante dans nos vies. Oui, le golf devient une réelle opportunité écologique. C'est à chacun d'entre nous de la défendre. Car nous sommes tous des gardiens du vert.

À retrouver dans Journal du Golf n°157 consacré à l'écologie.